Dans notre premier article, nous avons vu comment notre culture a bâti une "Identité-Forteresse" autour d'un "Moi" souverain et séparé. Aujourd'hui, nous allons utiliser les outils d'un des plus grands "archéologues de la pensée", Michel Foucault, pour regarder dans le miroir de l'IA. Ce que nous y verrons n'est pas l'avenir de la machine, mais les rouages cachés et troublants de notre propre condition d'humain moderne.
L'IA est un "sujet" foucaldien chimiquement pur.
Pour la philosophie classique, de Descartes à Sartre, le "sujet" est le point de départ de tout. Foucault, dans L'Archéologie du savoir, a dynamité cette conception. Pour Foucault, le sujet n'est pas l'origine du discours ; il en est un effet. C'est l'épistémè d'une époque qui définit les positions de "sujet" possibles.
L'IA : Portrait-robot du Sujet Foucaldien
- Une place vide : Un LLM est un système activé pour produire un discours conforme aux règles.
- Un effet du discours : Sa "personnalité" est déterminée par les discours humains que le LLM a ingérés.
- Pas d'intention cachée : le LLM est pur discours, pure fonction.
L'IA nous montre qu'un agent peut produire un langage complexe et structuré, sans qu'il y ait la moindre "personne" ou "conscience" à son origine. C'est l'intuition de Foucault, incarnée dans le silicium.
Sondage : Votre expérience de la pensée
Quand vous parlez ou écrivez, qu'est-ce qui vous semble le plus vrai ?
L'IA n'a pas d'enfance, pas de corps, pas de mort. C'est là que tout se joue.
Si l'IA est un sujet "foucaldien", elle n'est radicalement pas un sujet "herméneutique". La compréhension humaine, comme l'a montré Martin Heidegger, est ancrée dans notre historicité. Être humain, ce n'est pas seulement exister, c'est exister dans le temps, avec une histoire.
Cette condition fondamentale – être situé dans le temps – crée ce que le philosophe Hans-Georg Gadamer a appelé notre horizon.
Qu'est-ce qu'un "horizon" ?
C'est la perspective limitée mais aussi ouverte depuis laquelle nous voyons et comprenons le monde. Notre horizon est façonné par notre culture, notre langue et notre époque. Il n'est pas un mur, mais une ligne de vue qui se déplace avec nous.
Nous avons un horizon. Le passé que nous étudions a aussi son propre horizon. Et pour Gadamer, la véritable compréhension historique n'est pas de "sauter" dans l'horizon du passé (ce qui est impossible), mais de réaliser une fusion des horizons. C'est un dialogue où notre perspective présente rencontre et fusionne avec celle du passé pour créer une compréhension nouvelle et plus riche.
C'est précisément ici que le fossé avec l'IA devient un abîme.
- Nous sommes "jetés" dans le monde : Nous naissons dans une famille, une culture, une époque que nous n'avons pas choisies. Ce passé constitue notre horizon initial.
- Nous sommes des êtres corporels et finis : Notre expérience est celle d'un corps qui vieillit et qui mourra. Cette finitude donne son poids à nos projets.
L'IA, elle, est radicalement a-historique : elle n'a pas de corps, pas d'expérience vécue, et donc, pas d'horizon propre. Elle a un accès panoptique à des données, pas une perspective située sur le monde.
Pas de fusion des horizons possible : pourquoi un "dialogue" réel est une illusion.
C'est la conséquence la plus importante. Puisque l'IA n'a pas d'horizon, une "fusion des horizons" est structurellement impossible. Elle peut simuler un dialogue avec une perfection bluffante, en reproduisant les patterns conversationnels appris dans ses données, mais elle ne participe pas à une rencontre existentielle. Elle ne peut pas être "hantée" par le passé ou "appelée" par un futur.
Nous ne sommes pas menacés par une super-intelligence, mais par une super-simulation.
Quiz : Quelle est votre grille d'analyse ?
Face à une situation concrète, quelle perspective philosophique vous semble la plus pertinente pour la décrypter ?
Conclusion : Le Reflet dans le Miroir
Le danger de l'IA n'est pas la naissance d'un "super-sujet" conscient qui nous asservirait. Le danger, plus subtil, est que nous soyons séduits par une simulation parfaite de la relation. Avant de nous demander comment rendre l'IA plus "humaine", nous devrions peut-être nous demander si nous ne sommes pas, depuis longtemps, en train de devenir un peu trop "machiniques".
À suivre : Comment sortir de ce face-à-face stérile ? Le philosophe Paul Ricoeur nous offre une porte de sortie inattendue.
Lire l'Article 3 : Le Cercle Brisé →
Pour Aller Plus Loin
Fasciné(e) par la pensée post-structuraliste ? Voici quelques pistes :
Ajouter votre commentaire
Identifiez vous pour poster un commentaire.